André Broessel : «Je voulais optimiser la captation de la lumière»

(Article paru dans la lettre de l’écolonomie http://www.pocheco.com/je-ne-suis-rien-mais-avec-ce-rien-je-bousculerai-le-monde-entier)

André Broessel, architecte natif allemand, vit à Barcelone. Il vient d’inventer Rawlemon, des sphères solaires capables de générer de l’énergie. Depuis son atelier du quartier populaire de Poble sec, il a repris le concept de l’effet loupe et a pour but de produire une énergie propre avec une faible empreinte carbone. Interview.

La sphère solaire sur un toit de Barcelone

La lettre de l’écolonomie : Comment vous est venue l’idée de Rawlemon et en quoi consiste-t-elle ?

André Broessel : Il y a trois ans, c’est en observant par hasard les billes de ma fille  que j’ai eu l’idée d’utiliser, des sphères transparentes pour produire de l’énergie d’où notre slogan « The future is not green, it’s transparent ! » (Le futur n’est pas vert, il est transparent). Pour un physicien, la sphère est un peu un taboue car il s’agit de la géométrie la plus parfaite. Etonnamment, elle a été un peu oubliée. En ce qui me concerne, je voulais reproduire le fameux effet loupe, c’est à dire faire converger en un point focal les rayons du soleil et créer une concentration de ces rayons lumineux sur une cellule photovoltaïque. Je me suis dit que ce procédé ne pouvait qu’optimiser la captation de l’énergie solaire et pourquoi pas transformer une énergie diluée (même de faible intensité par temps nuageux ou la lumière de la lune) en énergie concentrée. En passant de la géométrie plane d’un panneau photovoltaïque à une géométrie en trois dimensions de la sphère, ce procédé pourrait en effet étendre la  production d’énergie solaire à l’ensemble de la planète, avec différents usages. Il existe ainsi la possibilité d’installer des petites sphères de 5 centimètres les unes à côté des autres, (à l’image d’un jeu de boules) sur les façades des immeubles. Ce procédé permet de rendre un édifice autosuffisant en énergie tout en laissant passer la lumière. Une sphère allant d’1m à 1m80 de diamètre peut également être installée sur le toit des immeubles. D’ailleurs, plus la sphère est grosse plus elle produit de l’énergie : une sphère de 1m80 peut ainsi recharger une voiture électrique. Mais il existe aussi le chargeur individuel de portable ou de tablettes avec une sphère de 10 et 20cm de diamètre.

André Broessel

Avec Rawlemon, vous avez donc la possibilité de capter la lumière diffuse tout au long de la journée. Concrètement, comment ça marche ?

Les sphères transparentes collectent les rayons lumineux qui convergent sur un collecteur. Ce dernier capte l’énergie en permanence grâce à un système appelé « dual axis tracking system ». En effet, ce collecteur est positionné sur un bras métallique incurvé, fixé sur les deux pôles de la sphère. Pour suivre le mouvement du soleil, le collecteur se déplace verticalement le long de cet arc. Lui-même exerce un mouvement horizontal circulaire autour de la sphère pour suivre la course du soleil. Les cellules photovoltaïques et de mini-générateurs de chaleur convertissent ensuite l’énergie en électricité et en énergie thermique. La concentration de la lumière sur ce principe fonctionne si bien que les sphères Rawlemon opèrent non seulement au  soleil, mais même lorsque le ciel est couvert, ou pendant la nuit : elles recueillent cette lumière et peuvent la transformer en énergie.

Votre invention s’avèrerait donc bien plus efficace qu’un simple panneau solaire. Pouvez-vous nous expliquer plus précisément pourquoi et sur quelles études et données chiffrées vous-êtes vous basés ?

En effet, la production de l’énergie s’effectue à travers cette cellule photovoltaïque dont le rendement est exponentiel, il pourrait aller jusqu’à 100 fois par rapport à un panneau photovoltaïque de la même taille.

L’explication est en réalité simple : un panneau solaire conventionnel ne capte les meilleurs rayons du soleil que 15 minutes par jour car il est fixe ! Or, la sphère est une surface parfaite puisqu’elle est traversée par les rayons de lumière quelque soit le moment de la journée à l’image d’un œil ou du globe terrestre. C’est ainsi que le dual axis tracking system capte l’énergie en permanence, même la lumière de la lune. Sur un toit d’immeuble ou sur une façade en position verticale, le système a donc un bien meilleur rendement qu’un système photovoltaïque traditionnel.  En ce qui concerne les études prouvant l’efficacité du produit, nous avons déposé le brevet et fait expertiser la technologie Rawlemon en Allemagne au ZSW, « Zentrum für solar energie und wasserstoff Baden-Württemberg » (Centre pour l’énergie solaire et l’hydrogène, Baden-Württemberg). Il s’agit d’un test qui fonctionne avec un jet de lumière de 1000 watts perpendiculaire à un panneau photovoltaïque. De cette lumière projetée, 150 watts ressortent. Avec le système Rawlemon, la cellule photovoltaïque ne mesure que 5mm sur 5mm, et la sphère, 5 cm de diamètre. Et pourtant, il ressort également 150 watts par mètre carré : mais notez bien qu’il s’agit d’un système miniaturisé ! Sur la même surface de panneau photovoltaïque, proportionnellement beaucoup plus d’électricité peut donc être produite, et ce, tout au long de la journée. Ainsi pour résumer, à titre d’exemple : 1m2 de panneau photovoltaïque traditionnel produit 150 watts au meilleur de son rendement, soit la consommation de 5 ampoules de basse consommation. 1m2 de superficie de cellules photovoltaïques de la technologie Rawlemon, produirait  l’énergie équivalente à 500 ampoules basse consommation.

Cela remettrait alors en question le marché du photovoltaïque au niveau mondial ?

En effet, car cette invention permet d’étendre la production d’énergie solaire à tout l’hémisphère nord. Jusqu’alors, le photovoltaïque constituait l’apanage des pays ensoleillés. On ne le dit pas assez mais un panneau photovoltaïque de bonne qualité a en réalité un rendement très faible. Dans le meilleur moment de la journée, son rendement n’est que de 20% pendant environ 15 minutes. Quant à ces 20%, ils peuvent même diminuer si la position du panneau n’est pas optimum (l’angle par exemple).  De plus, un panneau photovoltaïque est opaque, il ne laisse pas passer la lumière, tandis que les sphères transparentes peuvent même aller jusqu’à remplacer des surfaces vitrées et donc produire de l’énergie sur des façades entières d’immeubles.

La grande nouveauté repose aussi sur le fait de pouvoir capter l’énergie solaire même par temps nuageux. La lumière ambiante d’une journée ensoleillée correspond à 1000 watts ; celle d’une journée nuageuse, entre 100 et 300 watts. Or, pour qu’un panneau photovoltaïque commence à produire efficacement de l’énergie, il faut au moins 400 watts de lumière ambiante. La sphère, quant à elle, concentre la lumière et commence à produire de l’énergie à partir de 100 watts. Enfin, la cellule photovoltaïque utilisée par  Rawlemon est plus performante parce qu’elle est constituée en réalité d’un mille feuilles de mini-plaques photovoltaïques de quelques microns d’épaisseurs, on les appelle les « multi junctions cells ». Imaginez alors combien mon invention peut s’avérer révolutionnaire en termes d’autonomie énergétique et d’empowerment citoyen… Notre idée majeure est de rendre accessible au plus grand nombre notre technologie et ainsi contribuer à faire changer les mentalités sur les problèmes de production et gestion de l’énergie.

 

Propos recueillis par Valérie Zoydo

 

 

 

 

 

Créer, c’est résister

Frida Khalo par Julien Levy,New York, 1938

Dans la vidéo qui suit, Gilles Deleuze, associe l’acte de création à une forme de résistance. « Un des motifs de l’art et de la pensée c’est une certaine honte d’être un homme », déclare le philosophe. « L’art consiste à libérer la vie que l’homme a emprisonnée ». « L’homme ne cesse d’emprisonner la vie, de tuer la vie ». « L’artiste c’est celui qui libère une vie, une vie puissante, une vie plus que personnelle. » C’est ça résister…

Et cette résistance , se pratique en réseaux, (en REZO?) « La fonction du réseau c’est de résister et de créer ». Merci cher Monsieur Deleuze de nous conforter dans nos actes créateurs, quels qu’ils soient : une entreprise, une oeuvre d’art, un article, un livre, un média, un projet … En créant Rézo fin 2010, nous nous sommes inscrits dans cette volonté de proposer des visions alternatives d’un monde qui change, avec toutes les difficultés et le risque que la liberté implique. Mais vos mots donnent du courage pour poursuivre cette aventure et pour stimuler la mise en réseaux de penseurs, experts de la société civile, artistes, visionnaires bref, tous ces résistants à la pensée unique, qui à leur manière veulent changer le monde.
VZ

Itinéraire d’un Affranchi

crédit : Valérie Zoydo

 

A trois heures de Berlin, dans la quatrième ville de Pologne, Wroclaw, le catalan Alex Capdevila vit dans une maison flottante qu’il a construite. A l’heure du changement climatique, il a traversé l’Europe pour proposer un nouveau type d’habitat. Et les premiers clients sont au rendez-vous. Rézo est allé à sa rencontre. Reportage.

 

Alex Capdevila fait partie de ces itinérants, ces doux rêveurs, ces Robinson Crusoë, qui osent tout explorer, mourir et renaître, jusqu’au boutistes quel qu’en soit le prix. Ancien designer graphique à Barcelone et ex-directeur artistique dans une agence de publicité, ce Catalan a tout quitté pour construire une maison flottante en Pologne, sur un fleuve, l’Oder, qui traverse Wroclaw, considérée comme la Venise polonaise. Cet aventurier d’être soi déambule avec ses convictions, ses croyances, sa philanthropie, vogue entre sa légèreté d’enfant et sa gravité d’adulte. Existentialiste, en colère contre les dogmes étatiques, religieux et familiaux, il a pris le temps de ses 44 ans pour tout désapprendre, et réapprendre à être lui. Penser par lui-même. Paradoxal, cet homme fin aux allures de directeur d’une maison de couture, toujours tiré à quatre épingles -mais laissant tout de même quatre jours à sa barbe grisonnante- en veut aux institutions, aux impôts, aux banques. En avance sur son temps, un zeste inquiet, mais optimiste, il laisse transparaître la solitude des gens lucides.

Une maison mobile

Sur le bord du fleuve, cachée derrière les haies, sa maison pourrait être une cabane au fond du jardin, mais celle-ci, flotte. Démontable et remontable à loisir, elle est mobile, comme lui. “Je peux vivre où je veux”, se complait-il à rappeler. Avec ses airs de Belmondo dans le film Itinéraire d’un enfant gâté, il se déplace en barque pour aller faire ses courses, pour acheter entre autres des légumes chez un producteur des environs. Lui qui, il y a peu de temps travaillait encore dans les atmosphères ouatées des bureaux barcelonais, n’hésite pas à se retrousser les manches et réhausser l’ourlet de son pantalon pour retirer l’eau de sa barque après la pluie. Seul dans cette maison cubique, minimaliste, aux lignes parfaites, il vit comme dans le ventre d’une mère, au milieu de l’eau. La maison est autosuffisante : elle produit plus d’énergie qu’elle n’en consomme. L’électricité vient d’un système mixte de plaques solaires et de moulin à vent. Quant à l’eau, elle est puisée dans la rivière grâce à un système de filtres.

Cette maison, Alex y a travaillé comme la première page d’un roman. Il l’a dessinée, y a cristallisé ses espoirs et l’utilise comme un laboratoire pour, il l’espère, n’être que le premier tome d’une longue saga. Il l’a bâtie avec son ami polonais Wojciech Bartosiewicz qui l’a accueilli lorsqu’il est arrivé. Un an d’investigations a été nécessaire pour mettre au point leur brevet : 550kg/m², une structure métallique fortement isolée pour lutter contre les températures extrêmes et faire des économies d’énergie. Le tout sans un gramme de béton.

L’habitat du futur
Quand ils évoquent leurs souvenirs, le polonais, grand gaillard de deux mètres ne manque pas de s’émouvoir en se rappelant la solitude de son ami dans cette
épopée. En attendant de pouvoir s’installer dans sa maison, Alex a vécu dans une caravane. Un jour, alors qu’il assemblait avec son associé les premières pièces sur l’eau, l’hiver les a pris de court : le fleuve s’est gelé en trois jours. Remorqués par un transporteur fluvial, ils se sont vus contraints de rompre la glace pour rejoindre un emplacement plus sûr, à l’abri des courants et du gel. Depuis, Alex n’en a plus jamais bougé. Aujourd’hui sa maison est prête, flamboyante, et les visites vont bon train. Car le bouche à oreille a fait le reste du travail. La presse polonaise commence à s’intéresser à ce Catalan hors du commun. Un photographe de mode veut y faire son studio. Une jeune femme, qui travaille en indépendante et qui vend son appartement projette de vivre, elle aussi sur une rivière, au sein d’une communauté de voisins qu’Alex et Wojciech sont en train de créer. Un Français souhaite quant à lui, 62,5m² de plein pied en guise de résidence secondaire. Deux hôtels prévoient de lui commander de petites maisons flottantes, comme chambres bungalows. Un autre lui demande une maison pour pouvoir la déplacer d’hiver en été, de la montagne à la mer. Ou encore, un particulier imagine une maison flottante sur la mer, dans le nord de la Pologne, en guise de bar pour Wind surfers. En attendant, Alex se déplace dans quelques semaines à Varsovie pour donner une conférence sur les énergies renouvelables. Car sans peut-être le savoir, ce
touche-à-tout participe à construire l’habitat du futur : autosuffisant, mobile, démontable à l’image d’un meuble Ikea et adaptable aux zones inondables et à des zones urbaines peu exploitées, comme les rives des fleuves ou les rivières. Et surtout l’habitat social, avec des prix à 1.000,00 e/m². En tout cas, Alex Capdevila croit dur comme fer à l’avenir de son projet, et c’est bien là le secret des bâtisseurs de légende : y croire, y croire encore, ne jamais fléchir et toujours être soi. Et le mariage Alex, c’est pour quand ? “Pas avant mes 99 ans, mais vous êtes invités, bien sûr”.

Valérie Zoydo

Pour aller plus loin :
http://isolasystem.pl/

Le Cradle to Cradle, la nouvelle révolution industrielle

Le terme est encore peu connu et pourtant, il s’agit de l’actuelle révolution industrielle. Le Cradle to Cradle réinvente la production, le processus de conception des objets, le design, en somme, le système capitaliste. Quant aux déchets, ils n’existent plus ! Explications.

Vous connaissez le compostage des matières organiques, épluchures de pommes de terre, os de poulet et autres écorces de clémentine ? Et bien le Cradle to Cradle se propose de l’appliquer à tous les objets ! Soit le produit retourne au sol et constitue un nutriment biologique, comme les feuilles qui tombent des arbres. Soit le produit retourne à l’industrie, comme nutriment technique, indéfiniment réutilisable.

“Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme”

L’idée : repenser tout le cycle de vie du produit depuis sa création jusqu’à sa transformation. En utilisant une métaphore bouddhiste, c’est un peu comme si l’on cherchait à ce que le produit se réincarne à travers plusieurs vies.

Ce sont William Mc Donough, architecte et designer et Michael Braungart, chimiste qui sont à l’origine du mouvement. Leur livre, Cradle to Cradle est un manifeste pour une philosophie et une pratique nouvelle de la production et de l’écologie. Les deux auteurs soutiennent une “empreinte écologique positive”, à travers l’éco-conception et une garantie de qualité.

Et cela va bien au-delà du recyclage pratiqué jusqu’alors. Avec le Cradle to Cradle, autrement dit “Berceau à Berceau”, tout est propre dans le processus de création et tout est recyclable à l’infini. Pourquoi Berceau à Berceau ? Car tout doit revenir d’où il vient. Souvenez-vous de vos cours de Physique-Chimie : “Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme”, Lavoisier. Le maître mot donc, l’“éco-efficacité” qui n’opposerait plus croissance économique et écologie.

Une autre vision de l’économie

Ainsi, le processus de production n’est plus linéaire mais bien circulaire. “Nous partons du principe que les déchets, quels qu’ils soient, constituent de la nourriture, waste = food”, explique Ignasi Cubiña, directeur et cofondateur de Eco Intelligent Growth, une entreprise qui promeut l’écologie industrielle à travers le procédé du Cradle to Cradle en Espagne.

Ce principe change totalement la vision de l’économie. En effet, le capitalisme gère la rareté, mieux dit, il crée artificiellement de la rareté pour générer du profit. Or, le Cradle to Cradle gère l’abondance. Pour autant, le Cradle to Cradle ne milite en aucun cas pour la décroissance : il ne s’agit pas de réduire la consommation, mais plutôt les processus industriels de production. Un des objectifs : éviter l’extraction des minéraux. En somme, il s’agit d’un système redessiné pour devenir entièrement renouvelable.

Promouvoir l’abondance

Ainsi, selon Ignasi Cubiña, il faut promouvoir l’abondance de la matière vivante et non-vivante, et non pas l’accumulation de la richesse monétaire, pour un monde plus juste. Tout repose sur la circulation de l’énergie. “C’est la seule chose qui ne soit pas limitée !”, s’enthousiasme Ignasi, et de poursuivre : “Nous voulons concevoir un monde pour 9 milliards de personnes. Lorsque nous affirmons que nous nous inspirons de la nature, c’est que nous partons du principe que dans la nature il n’existe pas le concept de déchet ni de pollution”, insiste-t-il.

En effet, dans la nature, les espèces animales et végétales cohabitent et s’enrichissent mutuellement : les déchets des uns deviennent la nourriture des autres. La question est d’appliquer ce système à l’économie… Or, celle-ci se définit par l’organisation politique de la production et de l’échange des richesses sociales. Les solutions existent bel et bien, tout repose donc sur une volonté politique et une détermination individuelle de changer les choses.

Valérie Zoydo