A trois heures de Berlin, dans la quatrième ville de Pologne, Wroclaw, le catalan Alex Capdevila vit dans une maison flottante qu’il a construite. A l’heure du changement climatique, il a traversé l’Europe pour proposer un nouveau type d’habitat. Et les premiers clients sont au rendez-vous. Rézo est allé à sa rencontre. Reportage.
Alex Capdevila fait partie de ces itinérants, ces doux rêveurs, ces Robinson Crusoë, qui osent tout explorer, mourir et renaître, jusqu’au boutistes quel qu’en soit le prix. Ancien designer graphique à Barcelone et ex-directeur artistique dans une agence de publicité, ce Catalan a tout quitté pour construire une maison flottante en Pologne, sur un fleuve, l’Oder, qui traverse Wroclaw, considérée comme la Venise polonaise. Cet aventurier d’être soi déambule avec ses convictions, ses croyances, sa philanthropie, vogue entre sa légèreté d’enfant et sa gravité d’adulte. Existentialiste, en colère contre les dogmes étatiques, religieux et familiaux, il a pris le temps de ses 44 ans pour tout désapprendre, et réapprendre à être lui. Penser par lui-même. Paradoxal, cet homme fin aux allures de directeur d’une maison de couture, toujours tiré à quatre épingles -mais laissant tout de même quatre jours à sa barbe grisonnante- en veut aux institutions, aux impôts, aux banques. En avance sur son temps, un zeste inquiet, mais optimiste, il laisse transparaître la solitude des gens lucides.
Une maison mobile
Sur le bord du fleuve, cachée derrière les haies, sa maison pourrait être une cabane au fond du jardin, mais celle-ci, flotte. Démontable et remontable à loisir, elle est mobile, comme lui. “Je peux vivre où je veux”, se complait-il à rappeler. Avec ses airs de Belmondo dans le film Itinéraire d’un enfant gâté, il se déplace en barque pour aller faire ses courses, pour acheter entre autres des légumes chez un producteur des environs. Lui qui, il y a peu de temps travaillait encore dans les atmosphères ouatées des bureaux barcelonais, n’hésite pas à se retrousser les manches et réhausser l’ourlet de son pantalon pour retirer l’eau de sa barque après la pluie. Seul dans cette maison cubique, minimaliste, aux lignes parfaites, il vit comme dans le ventre d’une mère, au milieu de l’eau. La maison est autosuffisante : elle produit plus d’énergie qu’elle n’en consomme. L’électricité vient d’un système mixte de plaques solaires et de moulin à vent. Quant à l’eau, elle est puisée dans la rivière grâce à un système de filtres.
Cette maison, Alex y a travaillé comme la première page d’un roman. Il l’a dessinée, y a cristallisé ses espoirs et l’utilise comme un laboratoire pour, il l’espère, n’être que le premier tome d’une longue saga. Il l’a bâtie avec son ami polonais Wojciech Bartosiewicz qui l’a accueilli lorsqu’il est arrivé. Un an d’investigations a été nécessaire pour mettre au point leur brevet : 550kg/m², une structure métallique fortement isolée pour lutter contre les températures extrêmes et faire des économies d’énergie. Le tout sans un gramme de béton.
L’habitat du futur
Quand ils évoquent leurs souvenirs, le polonais, grand gaillard de deux mètres ne manque pas de s’émouvoir en se rappelant la solitude de son ami dans cette
épopée. En attendant de pouvoir s’installer dans sa maison, Alex a vécu dans une caravane. Un jour, alors qu’il assemblait avec son associé les premières pièces sur l’eau, l’hiver les a pris de court : le fleuve s’est gelé en trois jours. Remorqués par un transporteur fluvial, ils se sont vus contraints de rompre la glace pour rejoindre un emplacement plus sûr, à l’abri des courants et du gel. Depuis, Alex n’en a plus jamais bougé. Aujourd’hui sa maison est prête, flamboyante, et les visites vont bon train. Car le bouche à oreille a fait le reste du travail. La presse polonaise commence à s’intéresser à ce Catalan hors du commun. Un photographe de mode veut y faire son studio. Une jeune femme, qui travaille en indépendante et qui vend son appartement projette de vivre, elle aussi sur une rivière, au sein d’une communauté de voisins qu’Alex et Wojciech sont en train de créer. Un Français souhaite quant à lui, 62,5m² de plein pied en guise de résidence secondaire. Deux hôtels prévoient de lui commander de petites maisons flottantes, comme chambres bungalows. Un autre lui demande une maison pour pouvoir la déplacer d’hiver en été, de la montagne à la mer. Ou encore, un particulier imagine une maison flottante sur la mer, dans le nord de la Pologne, en guise de bar pour Wind surfers. En attendant, Alex se déplace dans quelques semaines à Varsovie pour donner une conférence sur les énergies renouvelables. Car sans peut-être le savoir, ce
touche-à-tout participe à construire l’habitat du futur : autosuffisant, mobile, démontable à l’image d’un meuble Ikea et adaptable aux zones inondables et à des zones urbaines peu exploitées, comme les rives des fleuves ou les rivières. Et surtout l’habitat social, avec des prix à 1.000,00 e/m². En tout cas, Alex Capdevila croit dur comme fer à l’avenir de son projet, et c’est bien là le secret des bâtisseurs de légende : y croire, y croire encore, ne jamais fléchir et toujours être soi. Et le mariage Alex, c’est pour quand ? “Pas avant mes 99 ans, mais vous êtes invités, bien sûr”.
Valérie Zoydo
Pour aller plus loin :
http://isolasystem.pl/