Véronique, autodidacte et libertaire

 

 

Elle a l’air d’une éternelle adolescente et semble pourtant avoir l’expérience d’un vieux sage. Et pour cause, Véronique Augeard, 45 ans, ex-Parisienne aujourd’hui basée à Barcelone est un personnage de roman, riche de plusieurs vies, avec un destin étonnant. Comme sur un air de Nino Rota, son compositeur préféré, elle déambule du haut de son vélo qu’elle a repeint, ses cheveux  blonds au vent, la fleur au fusil, toujours animée de la folie de ses 20 ans, l’optimisme des conquérants, sur la frontière ténue qui sépare la candeur de la gravité, la lumière de l’ombre, et qui contraste les couleurs vives et les toiles aux fonds noirs ou sombres sur lesquelles elle dessine. Sorte d’enfant de la balle, indomptable, elle aurait pu tour à tour incarner des personnages de Victor Hugo, de Fellini et la désinvolture de Jeanne Moreau dans Jules et Jim. “Les vies sont tellement compliquées que j’ai choisi un art simple, enfantin, tribal et animal”, raconte-elle. Mais “ là où est la légèreté, la gravité ne manque pas”, disait Maurice Blanchot. Sa vie à elle, a été forgée entre les murs de la célèbre pension Rudolph Steiner au château de La Motte en France, où le maître-mot de la pédagogie repose sur la libre expression de soi à travers la musique et la peinture. Une éducation qui ne l’a jamais quittée.

Anarchique et anachronique

Son goût artistique a continué à s’affirmer dans les couloirs du Louvre dans lequel elle aimait à se perdre, mais la révélation s’opère avec les lectures de Jules Vernes, et l’univers de Gaudi à Barcelone, inspiré de la Méditerranée, carrefour des mondes, entre bleu, vert et rouges orangés. Ainsi, Véronique fait-elle ressortir dans sa peinture, des fonds marins de son inconscient, des couleurs vives, des arbres exotiques, des oiseaux quasi imaginaires, des poissons du Pacifique, la jungle, la lune, des châteaux de souvenirs d’enfance, des étoiles et autres merveilles d’un univers harmonieux, aquatique, d’un cosmos féérique mais pourtant toujours impétueux, presque insolent par la sensualité qu’il dégage. Les tableaux de Véronique auraient presque une odeur: ils sentent les Antilles, le Brésil, le Japon, le Kenya, le Maroc, car cette fille d’un steward d’Air France a voyagé toute sa vie.

Citoyenne du monde, elle a bourlingué, parcouru les paysages comme elle a sondé les inconscients et la vie des autres à travers sa deuxième passion, l’astrologie qu’elle pratique depuis ses 15 ans. Ce personnage hors du commun au regard noir et perçant, extralucide, vous capte au premier coup d’œil. Astrologue, peintre, mère de deux enfants, joueuse d’accordéon, cette ex-femme d’un réalisateur écossais, aime être seule, mais parfois au milieu d’une foule d’artistes, de photographes, d’écrivains, de musiciens, journalistes et sculpteurs… Elle attire souvent les gens qui lui ressemblent. Comme eux, elle a choisi la voie la plus dure à suivre, dans la vie comme dans son art : la liberté. Alors ses toiles peintes avec un stylo d’acrylique recyclée, inspirées de techniques du street art, ne peuvent qu’être à son image: instinctives, sans règles, sans école de pensée, méticuleuses, anarchiques, anachroniques, colorées, spirituelles, oniriques, sentimentales, sensuelles, naïves et pleines d’espoir. “Je ne sais jamais ce que je vais peindre et une fois que je commence, tout devient logique. Tout prend sa place. Je ne calcule pas, je sais d’instinct qu’il manque telle chose à telle place. Je fais jouer mon imagination et ramène tout au voyage des sens”, déclare-t-elle. Et en effet, tel un esperanto pictural, son art, à la croisée des mondes aquatiques, terrestres et célestes invite au dialogue interculturel et au rêve.

Valérie Zoydo

Plus d’infos à verobarna@gmail.com

 

 

Itinéraire d’un Affranchi

crédit : Valérie Zoydo

 

A trois heures de Berlin, dans la quatrième ville de Pologne, Wroclaw, le catalan Alex Capdevila vit dans une maison flottante qu’il a construite. A l’heure du changement climatique, il a traversé l’Europe pour proposer un nouveau type d’habitat. Et les premiers clients sont au rendez-vous. Rézo est allé à sa rencontre. Reportage.

 

Alex Capdevila fait partie de ces itinérants, ces doux rêveurs, ces Robinson Crusoë, qui osent tout explorer, mourir et renaître, jusqu’au boutistes quel qu’en soit le prix. Ancien designer graphique à Barcelone et ex-directeur artistique dans une agence de publicité, ce Catalan a tout quitté pour construire une maison flottante en Pologne, sur un fleuve, l’Oder, qui traverse Wroclaw, considérée comme la Venise polonaise. Cet aventurier d’être soi déambule avec ses convictions, ses croyances, sa philanthropie, vogue entre sa légèreté d’enfant et sa gravité d’adulte. Existentialiste, en colère contre les dogmes étatiques, religieux et familiaux, il a pris le temps de ses 44 ans pour tout désapprendre, et réapprendre à être lui. Penser par lui-même. Paradoxal, cet homme fin aux allures de directeur d’une maison de couture, toujours tiré à quatre épingles -mais laissant tout de même quatre jours à sa barbe grisonnante- en veut aux institutions, aux impôts, aux banques. En avance sur son temps, un zeste inquiet, mais optimiste, il laisse transparaître la solitude des gens lucides.

Une maison mobile

Sur le bord du fleuve, cachée derrière les haies, sa maison pourrait être une cabane au fond du jardin, mais celle-ci, flotte. Démontable et remontable à loisir, elle est mobile, comme lui. “Je peux vivre où je veux”, se complait-il à rappeler. Avec ses airs de Belmondo dans le film Itinéraire d’un enfant gâté, il se déplace en barque pour aller faire ses courses, pour acheter entre autres des légumes chez un producteur des environs. Lui qui, il y a peu de temps travaillait encore dans les atmosphères ouatées des bureaux barcelonais, n’hésite pas à se retrousser les manches et réhausser l’ourlet de son pantalon pour retirer l’eau de sa barque après la pluie. Seul dans cette maison cubique, minimaliste, aux lignes parfaites, il vit comme dans le ventre d’une mère, au milieu de l’eau. La maison est autosuffisante : elle produit plus d’énergie qu’elle n’en consomme. L’électricité vient d’un système mixte de plaques solaires et de moulin à vent. Quant à l’eau, elle est puisée dans la rivière grâce à un système de filtres.

Cette maison, Alex y a travaillé comme la première page d’un roman. Il l’a dessinée, y a cristallisé ses espoirs et l’utilise comme un laboratoire pour, il l’espère, n’être que le premier tome d’une longue saga. Il l’a bâtie avec son ami polonais Wojciech Bartosiewicz qui l’a accueilli lorsqu’il est arrivé. Un an d’investigations a été nécessaire pour mettre au point leur brevet : 550kg/m², une structure métallique fortement isolée pour lutter contre les températures extrêmes et faire des économies d’énergie. Le tout sans un gramme de béton.

L’habitat du futur
Quand ils évoquent leurs souvenirs, le polonais, grand gaillard de deux mètres ne manque pas de s’émouvoir en se rappelant la solitude de son ami dans cette
épopée. En attendant de pouvoir s’installer dans sa maison, Alex a vécu dans une caravane. Un jour, alors qu’il assemblait avec son associé les premières pièces sur l’eau, l’hiver les a pris de court : le fleuve s’est gelé en trois jours. Remorqués par un transporteur fluvial, ils se sont vus contraints de rompre la glace pour rejoindre un emplacement plus sûr, à l’abri des courants et du gel. Depuis, Alex n’en a plus jamais bougé. Aujourd’hui sa maison est prête, flamboyante, et les visites vont bon train. Car le bouche à oreille a fait le reste du travail. La presse polonaise commence à s’intéresser à ce Catalan hors du commun. Un photographe de mode veut y faire son studio. Une jeune femme, qui travaille en indépendante et qui vend son appartement projette de vivre, elle aussi sur une rivière, au sein d’une communauté de voisins qu’Alex et Wojciech sont en train de créer. Un Français souhaite quant à lui, 62,5m² de plein pied en guise de résidence secondaire. Deux hôtels prévoient de lui commander de petites maisons flottantes, comme chambres bungalows. Un autre lui demande une maison pour pouvoir la déplacer d’hiver en été, de la montagne à la mer. Ou encore, un particulier imagine une maison flottante sur la mer, dans le nord de la Pologne, en guise de bar pour Wind surfers. En attendant, Alex se déplace dans quelques semaines à Varsovie pour donner une conférence sur les énergies renouvelables. Car sans peut-être le savoir, ce
touche-à-tout participe à construire l’habitat du futur : autosuffisant, mobile, démontable à l’image d’un meuble Ikea et adaptable aux zones inondables et à des zones urbaines peu exploitées, comme les rives des fleuves ou les rivières. Et surtout l’habitat social, avec des prix à 1.000,00 e/m². En tout cas, Alex Capdevila croit dur comme fer à l’avenir de son projet, et c’est bien là le secret des bâtisseurs de légende : y croire, y croire encore, ne jamais fléchir et toujours être soi. Et le mariage Alex, c’est pour quand ? “Pas avant mes 99 ans, mais vous êtes invités, bien sûr”.

Valérie Zoydo

Pour aller plus loin :
http://isolasystem.pl/