La mort du Web

Le 18 août dernier, la revue américaine Wired a annoncé la mort du Web. Wired est aux nouvelles technologies ce que Vogue est à la mode ou Hola aux potins made in Spain. En réalité, ce décès, quelque peu prématuré, avait déjà été pressenti… Mais comme la première annonce, en 1997, n’a pas eu l’effet escompté, Chris Anderson, rédacteur en chef de la revue, a décidé de renouveler l’obituaire en ajustant un peu le tir.

Quant à vous chers lecteurs, n’attendez pas le dessert pour déclarer la mort du Web car le débat risque d’être long. Afin d’éviter tout étouffement, empressez-vous de nuancer que le défunt n’est autre que le Web… pas Internet. Comme l’explique Anderson dans son dernier bouquin (Free : The Future of a Radical Price, référence littéraire qui calmera les plus technophobes), les gens aiment la gratuité mais, au bout d’un certain temps, tendent à emprunter le chemin le plus simple et adapté, quitte à payer pour certains accès. Un raisonnement que le journaliste généralise dans son article : les usagers d’Internet utilisent de plus en plus de programmes “fermés” d’Internet, tels que le Courriel, le Podcast, Facebook, Twitter ou les journaux on-line. Une migration de l’ouverture et la liberté de Google vers des plateformes qui utilisent Internet uniquement comme moyen de transport de l’information.

Finie l’époque du Web comme espace de navigation et de découverte inespérée. Selon le diagnostic d’Anderson, les flâneries sur Internet seraient déjà d’un autre temps. Désormais, nous savons ce que nous voulons. Place aux programmes efficaces et adaptés qui nous aident à arriver facilement à l’information recherchée.
La toile est en train de muter vers un modèle économique et relationnel plus classique et conventionnel qui finira par mettre de l’ordre dans le foisonnement du monde digital. C’est en fait une nouvelle ère Internet qui s’ouvre. Le Web 3.0 voire 4.0 ? Vous pouvez tenter de lancer le sujet mais la fin du Web est déjà une annonce assez tape à l’oeil. Attendez peut-être Noël. Le Web est mort. Vive le Web ! A. L. G.

Amour capitaliste

Oubliez les Amélie Nothomb ou autres Marc Lévy. Dites que vous avez lu Eros d’Eloy Fernández Porta (EFP), le philosophe en vogue en Espagne. Son livre, de plus de 350 pages, a gagné le Prix Anagrama de Ensayo en avril 2011. Parlez-en si possible dans un dîner de couples, à l’image du 5e chapitre du livre, “l’empire de la médiation affective”. Et pour avoir l’air hype, enchaînez, à contre-courant, qu’Eros est surfait. Que l’auteur a bien lu Nietzsche, Lyotard et Eco. Et Ovide et Calvino et Zizek (même Onfray et Finkielkraut…). Que ses exemples sont souvent bien trouvés et ses références originales mais qu’il n’est que le Picard de la philosophie. Simple, alléchant et rapide à absorber. Tout cela avec une excellente préparation en amont du produit.
Sous couvert de nouveauté, d’originalité, d’une dichotomie simpliste entre l’insensible capitalisme et l’éthéré sentiment amoureux, EFP présente, avec d’innombrables références (cultivée, pop, bas de gamme) et jeux symboliques (à commencer par le titre) une plate évidence éternelle : la relation amoureuse dépend de la société dans laquelle elle s’inscrit. N’est-ce pas aussi le cas de l’amour courtois au Moyen-âge, dont le sens réel s’inscrivait au coeur de la sphère politique ? Ou de l’amour bourgeois dans les années 60 ? Nietzsche, Barthes, Lacan et d’autres l’ont déjà très bien dit.
En fait, EFP n’est jamais aussi bon que quand il fait de l’humour. Sa pensée est certes meilleure que le rudimentaire Onfray ou le grossier Badiou mais cela reste un remake décalé et actualisé de Derrida ou Bataille. L’auteur échoue, par sa relecture tangentielle et subjective (parfois jouissive, trop souvent forcée), à trouver sa juste place par rapport à cette culture qu’il analyse. Son discours est à la fois critique et abreuvé du post-modernisme le plus mainstream. Refaire du neuf avec de l’ancien, saupoudrer l’analyse d’exemples provocateurs et de renvois inattendus (des Guns & Roses à Paul Thomas Anderson en passant par Paris Hilton), enguirlander une plate banalité de grandes théories philosophiques devenues light (on pense clairement à Heidegger dans son livre précédent), voilà les travers d’une bonne partie de la pensée contemporaine. EFP n’y échappe pas. En revanche, quand il laisse flâner
son imagination (dans la troisième partie) et qu’il se prend plus pour Philip K. Dick que pour Giorgio Agamben, le résultat est surprenant et on ne peut s’empêcher d’approuver avec le sourire. Pompeux, simpliste et imposteur quand il prétend découvrir la vérité du capitalisme, Eros devient un livre aigu, drôle et acéré quand il se présente comme ce qu’il est. Un pur produit de l’entertainment post (méta, ultra, hyper…) moderne. De quoi créer de belles discussions.

AURÉLIEN LE GENISSEL