OGM, enfin la vérité

Doit-on avant de passer à table se souhaiter bonne chance ? La question mérite d’être posée à la découverte des résultats d’une étude scientifique sur les effets des OGM sur la santé, menée dans le plus grand secret par le professeur Gilles-Éric Séralini et d’autres scientifiques, et dévoilée ce mercredi dans une revue scientifique américaine. A l’occasion de la sortie de cette étude du CRIIGEN (Comité de recherche et d’information indépendantes sur le génie génétique) fondé par Corinne Lepage, la députée européenne lève le voile sur un scandale alimentaire à l’échelle mondiale. Dans son livre La Vérité sur les OGM, c’est notre affaire !, qui paraît le 21 septembre aux Éditions Charles Léopold Mayer, elle dénonce un imbroglio juridique et politique pour échapper au fameux principe de précaution.

Lorsqu’il est question d’OGM, les acteurs débattent autour de leur nécessité -ou pas- dans l’agriculture : ceux-ci augmentent-ils la productivité agricole comme le prétendent les pro-OGM ? Est-ce l’unique solution pour nourrir 9 milliards d’individus en 2050 ? La réponse est non. Au contraire : sur le long terme, les OGM appauvrissent les sols. Ou encore, existe-t-il une pollution génétique liée à la culture ? Mais la véritable question devrait plutôt être : quels sont leurs réels impacts sur la santé ? Respecte-t-on le citoyen dans son droit à être informé ?

S’intéresser à la question des effets sur la santé

Cette problématique anime Corinne Lepage, députée européenne, présidente du parti humaniste et écologiste Cap 21, et ancienne ministre de l’environnement, (voir bio) depuis presque vingt ans : elle en a fait l’un des principaux combats de sa carrière. Une bataille entamée lorsqu’elle sollicite du Premier ministre Alain Juppé en 1996 que la France retire sa demande d’autorisation de mise en culture d’un OGM de la maison Novartis. Elle perd l’arbitrage et commence alors pour elle l’ouverture du dossier OGM et le début d’une longue histoire. Elle finit par obtenir du Président de la République et du Premier ministre le moratoire sur les OGM en février 1997. Mais elle sait bien que celui-ci sera fragile, face aux pressions du lobby à une époque où Monsanto prévoit que 50% du maïs européen sera OGM en 2000.

« Dans sa ligne de mire, les fabricants d’OGM, les lobbies, leurs alliés politiques, la Commission européenne, l’EFSA, ses experts souvent liés à l’industrie elle-même, bref, tous ont organisé leur propre irresponsabilité dans ce dossier.”

Au fil des années, à travers une enquête menée à la fois avec son regard de femme politique et d’avocate spécialisée dans l’environnement, elle a observé et s’est battue contre les rouages d’un système bien organisé et ses zones d’ombres. Dans sa ligne de mire, les fabricants d’OGM, les lobbies, leurs alliés politiques, la Commission européenne, l’EFSA (Autorité européenne de sécurité des aliments), ses experts souvent liés à l’industrie elle-même, bref, tous ont organisé leur propre irresponsabilité dans ce dossier. Une expertise qui a fini par la conduire aux côtés du professeur de biologie moléculaire Gilles-Éric Séralini, et d’autres scientifiques à organiser une étude scientifique dans le secret absolu, il y a deux ans.

Une première mondiale

« Sous l‘égide du CRIIGEN, association que j’ai fondée en 1999 avec Jean-Marie Pelt et Gilles-Éric Séralini et que préside aujourd’hui, Joël Spiroux, le Professeur Séralini et leurs co-auteurs publient ce mercredi 19 septembre une étude qui est une première mondiale », explique-t-elle.

Jusqu’alors, toutes les études sur l’impact des OGM avaient été réalisées par les compagnies biotechnologiques elles-mêmes et ce, pendant seulement 90 jours sur des cohortes de dix rats. Pourtant, à l’image de l’industrie pharmaceutique, les études devraient être réalisées sur le long terme, c’est-à-dire un minimum de deux ans, pour comprendre quels sont les effets d’une substance à l’échelle d’une vie humaine. Alors, pourquoi les pouvoirs publics n’ont pas cherché à réaliser davantage d’études pour analyser les véritables effets des OGM sur la santé ?

Elle parle même de « trou béant dans les connaissances scientifiques » et s’étonne que «personne ne semble s’en préoccuper. »
Images tirées du nouveau film de Jean-Paul Jaud, Tous Cobayes?, qui sortira en salles le 26 septembre prochain, librement adapté de l'ouvrage de Gilles-Eric Séralini, intitulé Tous Cobayes!, Flammarion 2012

Le livre raconte justement comment les grandes firmes se sont organisées pour les en empêcher. Car le négoce n’est rentable que si les tests ne sont faits qu’à court terme : s’il est découvert que les OGM ont un impact sur la santé, et que cela est prouvé scientifiquement, c’en est fini de leur production. C’est cela que les lobbies ont voulu combattre. « Aucun Etat, ni organisme privé n’avait en effet jamais accepté d’étudier les effets d’un OGM sur des rats durant deux ans, en analysant en détail tous les paramètres et organes », confirme la députée européenne. Elle parle même de « trou béant dans les connaissances scientifiques » et s’étonne que « personne ne semble s’en préoccuper ». Et en effet, l’étude révèle qu’à partir de quatre mois des anomalies graves commencent à se faire sentir particulièrement sur des rates nourries aux OGM. Le nombre de tumeurs est tel que le budget en analyse explose et retarde l’expérience. Certaines tumeurs finissent même par atteindre la taille d’une mandarine. Lorsqu’elles franchissent 25% du poids de l’animal (ce qui représenterait une tumeur de 15 kilos pour un humain de 60 kilos), l’euthanasie est pratiquée pour éviter les souffrances. Mais jusqu’à aujourd’hui, Corinne Lepage a été tenue au secret pour ne pas mettre en péril le bon déroulement de l’expérience dont l’industrie agro- alimentaire ne devait rien savoir sous aucun prétexte.

Restituer au citoyen son droit à être informé et protégé

Rendant à la politique ses lettres de noblesse, la députée européenne se fait un point d’honneur à restituer au citoyen son droit à être informé et protégé au niveau de sa santé. Ainsi, l’invite-t-elle à se réapproprier son destin en ayant désormais les connaissances pour agir ou pour exiger qu’on lui rende des comptes. « Comment expliquer que ce qui devrait être une des missions premières des institutions, qu’il s’agisse des ministères, de la Commission, des organes d’expertise, à savoir disposer d’informations sur la toxicité ou non des OGM, ne soit pas remplie ? Comment expliquer le degré d’irresponsabilité des ministres, commissaires et autres directeurs d’agences qui rééditent de manière constante une procédure de prise de décision qui peut conduire à un nouveau drame de l’amiante ? Comment expliquer qu’ils prêtent une oreille aussi attentive aux lobbies sans que jamais les inexactitudes relevées ne fassent l’objet d’aucune sanction ?», écrit-elle.

 » Dans cet ouvrage aux accents parfois surréalistes tant ses vérités dérangent,bousculent, embarrassent, l’ancienne ministre n’épargne personne. »

Dans cet ouvrage aux accents parfois surréalistes tant ses vérités dérangent, bousculent, embarrassent, l’ancienne ministre n’épargne personne. A travers une intrigue à la fois juridique et politique, elle met le doigt là où ça fait mal, avec parfois de l’humour et un zeste d’ironie. Elle explique comment ces acteurs s’y sont pris pour contourner la loi, se jouer d’elle, à travers la création d’un règlement, utilisé par l’EFSA. Car -a priori- le droit européen protège le citoyen, grâce à une directive information/santé qui impose des exigences en matière d’évaluation des risques. Le constat est sans appel : les rares études scientifiques existantes ont été cachées, en aucun cas complétées, sans oublier le manque de transparence dans les conditions d’émission des avis. Enfin, les incertitudes et autres bricolages juridiques ont été opérés sans vergogne, et ce, toujours sous le regard complice de l’EFSA.

Réconcilier la politique et la société civile

Il s’agit là de l’aboutissement d’un des combats d’une vie et surtout d’un acte de courage. Ne s’attaque pas à un empire qui veut. Et pour cause, la filière transgénique représente une mine d’or pour l’économie aux yeux de certains gouvernants. Ce pourrait même être l’un des plus gros enjeux financiers de l’histoire des hommes. Une véritable OPA opérée sur les estomacs à l’échelle planétaire. Si les principales variétés de soja, de maïs, de blé et de riz deviennent des OGM brevetés, 60% de l’énergie alimentaire mondiale pourrait être contrôlée.

Dans ce contexte, Corinne Lepage tente de réconcilier la politique et la société civile, en se plaçant du côté du citoyen. Pas seulement à travers son indignation mais à travers ses actes, sa sincérité, son honnêteté intellectuelle et son respect de l’humain. Indéniablement, elle prouve avec La Vérité sur les OGM, c’est notre affaire !, qu’elle fait ce qu’elle dit, quels qu’en soient les risques. D’abord en tant que juriste puis en tant que femme engagée, avec ses prises de positions, ses coups de gueule et ses inlassables enquêtes. Enfin, en tant que fondatrice et Présidente d’honneur du CRIIGEN. « Cette étude – dont chacun peut imaginer les critiques que le lobby OGM va lui réserver – a un mérite immense, celui d’exister et de mettre enfin sur la table la question de l’impact sanitaire des OGM », conclut Corinne Lepage. Et en effet, toute la mise en lumière juridique et politique que nous offre l’avocate perdrait peut- être un peu de son effet retentissant si elle n’était pas accompagnée par un travail collectif, en parallèle, de scientifiques et amis. Par leur travail et leurs recherches, ils ont prouvé que cette intuition qu’elle avait eue en juin 1996 au conseil des ministres européens –alors qu’elle était saisie du dossier OGM- était bel et bien fondée.

Valérie Zoydo ( conseillère  en comunication et en politique de Corinne Lepage, texte rédigé pour le dossier de presse).

L’EFSA, c’est quoi ?

Seuls deux OGM sont cultivés en Europe, Agence européenne d’expertise, chargée de la sécurité sanitaire et alimentaire au sein de l’UE. Créée au lendemain de l’affaire de la vache folle, elle est supposée être indépendante mais elle est en réalité accusée de céder aux conflits d’intérêts : elle est vivement critiquée dans sa procédure d’évaluation des risques par une vingtaine d’Etats membres et de nombreuses ONG. Au sujet des avis rendus dans son panel OGM (elle compte neuf panels), tous se sont révélés positifs. (Pour aller plus loin, voir notre annexe Etat des lieux du dossier OGM en Europe).

Le CRIIGEN

Le CRIIGEN, Comité de Recherche et d’Information Indépendantes sur le Génie Génétique, est une association à but non lucratif, multidisciplinaire, de scientifiques et de chercheurs sur les implications du génie génétique, ses enjeux et ses risques, et pour la protection de l’environnement et de la santé. Crée en 1999 par Corinne Lepage, Gilles-Eric Séralini et Jean-Marie Pelt, il réunit plusieurs experts en France et à l’étranger ayant participé ou participant à des missions gouvernementales ou internationales, de manière à réfléchir sur la mise en place du principe de précaution, et le contrôle du génie génétique. La vision collégiale des dossiers favorise la qualité de l’expertise, et le CRIIGEN a été consulté sur le sujet pour l’organisation de colloques internationaux, la mise en place de protocoles internationaux (Carthagène), ou de directives européennes. Il a notamment collaboré avec la Commission Européenne et les Ministères français, l’Italie, le Canada, la Chine et la Tunisie. Desgroupements, gouvernements, associations ou entreprises ont désiré adhérer pour favoriser une information indépendante, par exemple en agro-alimentaire, une information sur la traçabilité, ou un bilan international des OGM.

Recommandations de Corinne Lepageaux citoyens pour agir :

« Trois conséquences doivent être tirées de cette étude et de ses résultats en ce qui concerne les citoyens que nous sommes.
1. Même lorsque les pouvoirs publics démissionnent et ne défendent pas l’intérêt général, les citoyens peuvent agir efficacement et légalement. L’histoire de cette étude est une saga mais nous y sommes parvenus en soutenant le travail scientifique du professeur Séralini et de son équipe. Chacun d’entre nous peut exiger de ne pas consommer d’OGM dans les produits qu’il achète s’il a un doute sérieux sur la nocivité des OGM. Comment ? En évitant le maïs, le soja et le colza et leurs dérivés s’il existe une incertitude sur la présence ou non d’OGM et privilégier l’agriculture raisonnée ou bio.2. Chacun d’entre nous peut agir auprès de son gouvernement pour que des études indépendantes des groupes industriels, portant sur 2 ans et concernant un nombre d’animaux suffisant soient engagées sans délai pour analyser les effets potentiels de tous les OGM consommés sur la santé humaine. Il peut agir pour réclamer des explications sur les raisons pour lesquelles jusqu’à présent ces études ont été refusées, pour lesquelles l’EFSA n’a délivré que des avis positifs sur les OGM et cherche à obtenir la suppression dans tous les cas possibles de simples études sur 3 mois.
3. Il peut enfin militer pour un moratoire des importations en attendant le résultat des études. L’agriculture européenne ne s’en portera que mieux ».

Biographie de Corinne Lepage

Députée européenne, ex-ministre de l’environnement, présidente du parti Cap 21, et avocate spécialisée dans l’environnement, Corinne Lepage revendique des « valeurs humanistes, écologistes, sociales, républicaines et européennes ». Fervente défenseure de la troisième révolution industrielle, elle pense que la politique de demain ne se fera pas sans la collaboration de la société civile. Progressiste, de tendance sociale-démocrate, il faut repenser selon elle les clivages actuels du paysage politique et la façon dont le pouvoir est exercé, en mettant fin au jacobinisme et promouvant le dynamisme des régions.

L’Europe et l’environnement

Députée européenne depuis 2009 (groupe ADLE), elle devient première vice-présidente de la commission environnement, santé publique et sécurité alimentaire et est membre suppléante de la commission Industrie Recherche et Energie. En décembre 2009 et 2010, elle fait partie des délégations officielles du Parlement Européen qui vont à Copenhague dans le cadre de la COP 15, à Cancun pour la COP16, à Durban pour la cop17 et sera à Doha au Qatar pour la COP18. Elle a été à plusieurs reprises experte dans le cadre européen (en particulier sur le rapport d’étape du VIe programme) et a été nominée par le PNUE en 2006 parmi les 10 femmes qui, en Europe, comptent pour l’environnement. Au sein du groupe ADLE, elle est très active sur les directives OGM (dont elle est rapporteur), IPPC, RoHS, WEEE, nouveaux aliments, informations des consommateurs et sur les thématiques du changement climatique, du mix énergétique, de l’expertise non dépendante, du lien entre santé et environnement, la neutralité du net, la régulation Internet, les libertés individuelles et fondamentales.

La gouvernance écologique internationale

En 2008, elle remet au gouvernement français un rapport sur “la gouvernance écologique” qui formule plus de 80 propositions, dont 10 mesures phares, destinées à restaurer la confiance des Français dans l’information environnementale et fait notamment des propositions pour améliorer cette information, renforcer les règles de l’expertise et clarifier les responsabilités en cas de pollution qui sera présenté au niveau européen pendant la présidence française du Conseil de l’Europe en 2008.En mars 2010, aux côtés d’une trentaine d’anciens ministres de l’environnement dans le monde, elle lance un groupe de réflexion sous forme d’association (association des anciens ministres de l’environnement et anciens dirigeants d’organisation internationale de l’environnement) sur les problématiques de gouvernance écologique internationale.

1995 : la première stratégie nationale sur le développement durable

Ex-ministre de l’environnement en 1995, au moment de la présidence française du Conseil Européen, elle fait voter une grande loi sur l’air, contribue à la création du comité prévention et précaution et met en place la première stratégie nationale sur le développement durable, en 1997. Elle obtient la sortie de la puissance publique du comité amiante, le non redémarrage de la centrale superphénix et un moratoire sur les OGM.

Avocate et militante associative

Elle cofonde un cabinet spécialisée en environnement et droit public avec Christian Huglo, et se fait remarquer en défendant les sinistrés de l’Amoco Cadiz en 1978. Elle défendra par la suite des sinistrés de l’Erika en 1999 (dont des procès sont toujours en cours). Militante associative, elle cofonde le CRIIGEN (Comité de Recherche et d’Information Indépendantes sur le génie génétique). En 2011, elle remporte le prix European Women Business Law Awards, organisé par l’IFLR (International Financial Law rewiew) dans la catégorie droit de l’environnement.

Son positionnement politique : redéfinir de nouveaux clivages et coopérer avec la société civile

« La société civile ne peut désormais plus compter que sur elle-même pour assurer son avenir. », affirme-t-elle à la suite du sommet de Copenhague, en 2009. La mobilisation des ONG et de la société civile se révèle en effet nécessaire, selon elle, pour changer notre mode de développement.
Elle fonde un club de réflexion en 1996, CAP 21, qui se transformera en un parti politique démocrate, humaniste et écologiste, dont elle est présidente aujourd’hui.Cette sensibilité sociale-démocrate et sa défense de la cause environnementale l’amènent à collaborer avec le centre droit et le centre-gauche. Elle a cofondé Génération Ecologie en 1989 avec Brice Lalonde, Jean-Louis Borloo et Jean Michel Belorgey. Candidate à l’élection présidentielle française en 2002, elle soutient le candidat du centre François Bayrou en 2007, devient vice-présidente du MODEM, mais le quitte en dénonçant un problème de démocratie interne. Elle appelle à voter François Hollande en 2012.Pour elle, le clivage entre la gauche de la droite est obsolète. Rifkinienne convaincue ( cf les théories de Jeremy Rifkin) elle affirme qu’il s’agit plutôt pour le citoyen d’opérer un choix entre la centralisation du pouvoir et sa distribution. Elle prône la coopération, la démocratisation de l’énergie (cf la troisième révolution industrielle), l’Europe politique, l’économie liée à l’écologie et le social. Pour elle, le jacobinisme à la Française est un frein au progrès et aspire à un changement dans le paradigme du pouvoir. Elle est convaincue que la génération internet ne pense plus en termes de capitalisme et socialisme et juge plutôt un comportement politique et une capacité de coopération avec les ONG, les citoyens ou les entrepreneurs exerçant de bonnes pratiques sociales et environnementales. Croyant en un changement de civilisation, elle revendique la nécessité à ce que nous nous pensions collectivement comme les habitants d’une planète. V.Z