La révolution intime selon Sean Lee

Sean Lee est un jeune photographe de 27 ans, basé à Singapour. Critique à l’égard du
peu de communication et de connaissance de soi au sein des familles asiatiques, il a utilisé la
photographie dans cette série de photos intitulée Homework pour pousser les membres de
sa propre famille dans leurs retranchements. Grâce au processus de création photographique
qu’il utilise comme outil de révolution personnelle, Sean est parvenu à ce que la vie
familiale devienne plus authentique, émotionnelle et davantage ouverte aux démonstrations
physiques. Interview.

Rézo : Pensez-vous que la société actuelle nous empêche
d’être nous-mêmes ?
Sean Lee : Ce que je sens en général est que dans les sociétés
modernes, la définition du succès peut être très étroite. Il
est toujours mesuré selon des critères matérialistes. Et cela se
produit de la même manière dans le “monde de l’art”. On en est
arrivé au point où les gens pensent qu’ils ne valent que ce qu’ils
possèdent. De la sorte, on peut toujours être tenté de sacrifier
ce qu’on aime vraiment pour quelque chose de plus substantiel
au niveau matériel et financier. Pour ma part, je dois admettre
qu’il m’est parfois difficile de me débarrasser de cette perception.
Mais au bout du compte, ce qui importe est de garder la
magie de la création. Etre capable de créer quelque chose. Une
photographie, une peinture, une sculpture ou une histoire : ce
sont des choses extraordinaires. L’imagination est notre bien le
plus précieux.
J’ai mes rêves et mes ambitions en tant que photographe. J’ai
parfois l’impression qu’ils sont trop ambitieux pour voir le jour.
Mais au final, j’essaie toujours de garder à l’esprit que le moindre
acte de création est un privilège, et que pour ça, je dois être
reconnaissant.
La photographie a-t-elle été une révolution intime pour
vous ? Cette dernière est-elle un procédé nécessaire ?
S. L. : Pour ma part, la photographie est avant tout un outil
introspectif. Je veux la mettre à profit pour réaliser une quête
intérieure plutôt que de l’utiliser pour documenter ce qui m’est
extérieur et étranger. Je souhaite créer des histoires dans lesquelles
je puisse m’engager et me retrouver. La meilleure sensation
que je puisse avoir est celle d’être transformé par mon travail.
J’ai besoin d’être profondément concerné par ce que je fais.

Dans vos photos, on retrouve l’allégorie de la naissance.
Avez-vous eu l’impression de naître une seconde fois à
travers ce travail ?
S. L. : Tout travail qui en vaut la peine devrait être perçu comme
une naissance. C’est du moins ce que je pense. Vous traversez
un certain nombre de difficultés et une sorte de dépression prénatale
avant de finalement donner naissance à quelque chose
de précieux. La naissance est en réalité une excellente allégorie
de l’acte de création. On se retrouve enceinte d’une idée,
ensuite on travaille dur pour la concevoir, pour la rendre réelle,
la faire exister.
Vous vous sentez accompli aujourd’hui ? Et votre famille,
les avez-vous aidés à mieux se connaître eux aussi ?
S. L. : Ma famille et moi nous sommes rapprochés et nous
avons partagé des moments merveilleux au cours de ce travail.
Certains se retrouvent dans les photos, d’autres non. La première
fois que ma famille est venue pour mon exposition, c’était
à Singapour. Ce fût très spécial pour moi, car j’ai vu qu’ils étaient
vraiment fiers de moi.
Ont-ils eux aussi connu une révolution intime ?
S. L. : Oui, ils se sont rapprochés, et ils se sont montrés plus
impliqués dans mon travail, plus compréhensifs et encourageants.
Ils pensent toujours que je suis un peu bizarre mais, je
crois, dans le bon sens.
Pensez-vous que si tout le monde s’adonnait à une activité
créatrice, les choses tourneraient un peu mieux ?
S. L. : C’est difficile à dire. Chaque personne est unique, et
les situations personnelles sont trop différentes pour se prononcer.
Mais oui, avoir des photographies dans nos vies est
un privilège, alors utilisons-le pour de bon. Utilisons-le d’une
manière qui soit remplie de sens pour chacun de nous.

Propos recueillis par Valérie Zoydo, traduction par Emmanuel Haddad