Volatile skin, ou l’éloge de l’éphémère.
A travers une conversation avec l’artiste Stéphane Villafane, Rézo vous invite à découvrir son travail, qui tente de saisir et de fixer la fugacité de l’existence.
Chez Rézo, nous avons apprécié votre approche de la fugacité, cette fameuse notion de “passage inexorable de notre existence” que vous rappelez souvent dans votre oeuvre et qui s’oppose au désir d’immortalité. Faut-il prendre conscience de notre mort pour vivre intensément?
Stéphane Villafane : Depuis très jeune, je vis avec la conscience qu’il y aura une fin. Rien de dramatique ou de négatif, bien au contraire… Une force, une envie d’exister. Nous sommes de passage dans l’immensité changeante du temps et de l’espace qui nous entoure, c’est ainsi et c’est une certitude avec laquelle il faut vivre pleinement sans se voiler la face. La vraie question est, me semble-t-il, comment remplir ce bout de vie pour faire en sorte qu’il soit, dans la plus grande des espérances, l’éclat d’un météore. Un écho sublime, une résonance d’une étrange beauté dans l’immensité, une forme d’éternité pour ne pas disparaître à tout jamais dans la brièveté de la vie et l’inanité des choses terrestres.
Finalement nous rendre compte de cette fugacité nous rendrait plus heureux et plus ancrés dans le présent… Votre travail critique-t-il la relation qu’entretient l’occident avec le corps et la mort ?
S. V. : Dans La vie est un songe, Calderón fait dire au bouffon Clarin : “Le roi rêve qu’il est roi et il vit cette illusion, commandant, ordonnant, gouvernant ; et cette gloire, prêt fugitif, est écrite sur le vent et la mort, la réduit en cendres.” Il en est ainsi aujourd’hui de nos sociétés de plus en plus illusoires et fragiles, bâties sur la consomption du présent. Je pense alors que, pour remédier à cette maladie, il faut vivre outrageusement, avec de la superbe et du panache, mots tabous, mots effacés de nos mémoires et pourtant les véritables clés de notre salut face à cette fugacité… amie. Il faut bien avouer que sans cette dernière, si nous étions tout simplement immortels, nous serions sans désir et sans ardeur, pour ainsi dire morts.
Vous êtes vous inspirés de l’actualité en réalisant votre oeuvre ?
S. V. : Je préfère parler d’une inspiration, d’une source visuelle ou littéraire sans trop m’attacher de manière littérale à l’actualité pour créer une oeuvre. Une trop grande fidélité aux phénomènes de société me conduirait à une peinture anecdotique, ce dont je me défends. Je citerai Michel Foucault qui, dans Les mots et les choses écrit : “Alors, on peut bien parier que l’homme s’effacerait, comme à la limite de la mer, un visage de sable”. Mon travail témoigne de cet état des choses, de l’actualité de ce constat. A mes yeux, les oeuvres magistrales de Rembrandt, de Velázquez, de Goya n’ont jamais été aussi actuelles pour exprimer cette approche de l’éternité paradoxalement sublimée par une inexorable temporalité. Dans Figurants fugitifs, Paul Nizon écrit à propos du chef-d’oeuvre de Goya intitulé La Marquise de Solana : “Une apparition comme venue de l’au-delà… La Solana est à ce point spiritualisée qu’elle n’est presque plus qu’un voile, un esprit, un spectre, pour autant qu’on veuille associer cette idée-là à l’expression de l’humanité la plus noble. La plus haute densité d’être-là et d’être-homme, conjurée avec un minimum de moyens. Pure existence, pure essence. Résistance.” Volatile Skin, oeuvre dans ce sens.
Vivre intensément signifie-t-il dans vos propos privilégier l’hédonisme ?
S. V. : J’ose croire (étant plutôt philanthrope qu’hédoniste de nature) que nous devons malgré tout oeuvrer dans notre vie pour, ne pas disparaître, ne pas oublier, ne pas être oublié, résister… dans notre inexorable fugacité. C’est cette conscience là qui m’habite et je ne peux m’empêcher, en disant cela, de penser à Cyrano de Bergerac d’Edmond Rostand : “…on ne se bat pas dans l’espoir du succès… non, c’est bien plus beau lorsque c’est inutile…” C’est véritablement cela le panache. Finalement, dans nos sociétés, vivre intensément devient vital avec de si simples sentiments qu’ils en deviennentsinguliers : Aimons. Vivons intensément nos passions, nos rêves. Soyons transportés, exaltés et faisons en sorte que ces élans perdurent à jamais… L’autre soir, en relisant mes carnets de jeunesse, j’ai retenu ces quelques phrases, qui pourraient servir de conclusion, écrites il y a une vingtaine d’années et qui semblent m’habiter encore : “Dans la fugacité de nos vies, ce n’est pas la peur de la mort qui doit nous gouverner mais plutôt la peur de ne pas avoir assez vécu avant de disparaître. Vivre le présent, le croire-vivre plutôt que le savoir-vivre.”
Propos recueillis par Valérie Zoydo