Le livre et l’imprimé, des objets d’art

Dans un contexte de digitalisation des contenus, le livre et la presse magazine sont-ils condamnés ? Pas si sûr. Ils ont plutôt vocation à devenir des objets d’art. Reportage.

Dans une interview parue dans Le Monde en 2009, Didier Quillot, président de La gardère Active, qui regroupe les activités magazine, audiovisuelles et Internet du groupe Lagardère affirmait : “La génération Internet doit comprendre que ce qui a de la valeur a un prix”. Et en effet, la gratuité et la digitalisation des contenus ont déstabilisé le marché de l’imprimé. Mais comme tout objet en crise, si l’imprimé se raréfie, n’aura-t-il pas vocation à prendre justement de plus en plus de valeur ? Ceux qui résisteront à fabriquer des livres ou des magazines à l’heure du livre digital, de l’Ipad et autres nouvelles technologies seront-ils érigés au rang d’artistes et d’idéalistes ?

Il n’est pas ici question de critiquer le web en tant que média mais au contraire de se montrer rassurants vis à vis des amoureux de l’imprimé : un média n’en chasse jamais un autre. D’ailleurs, l’Internet et la presse magazine sont complémentaires : l’un se caractérise par le flux, l’instantané, l’information suivant une logique de links/liens, et l’autre, s’inscrit dans le temps, le témoignage, la mise en perspective, la réflexion.

OSER L’INVERSE DE CE QUI SE FAIT DANS LA PRESSE AUJOURD’HUI

Il est alors fort possible que dans un avenir à long terme les magazines qui survivront ressembleront plus à des livres. En témoigne le succès de la revue trimestrielle XXI. Cet objet, à mi-chemin entre le livre et le magazine est beau. Tellement beau que l’on ne peut que le garder chez soi comme, justement, un livre d’art : ses 210 pages sont montées comme une série de documentaires à l’écrit, et ponctuées par des illustrations dignes des meilleures BD. Quant aux photos, elles rappellent avec nostalgie l’âge d’or du photojournalisme. D’ailleurs, le premier numéro s’est vendu à 45 000 exemplaires. “C’est le journal dont on rêvait tous un peu. Il s’appelle XXI, comme le siècle, et ose l’inverse de pratiquement tout ce qui se fait dans la presse aujourd’hui”, écrit Télérama.

LE LIVRE N’EST PAS MORT

Associer l’imprimé ou le livre à l’art c’est en tout cas ce que s’applique à faire l’association Arts Libris. Et comme tout objet d’art, il donne du sens. “L’art c’est ce qui permet la vie”, affirme, François Righi qui fait partie des artistes plasticiens et bibliophiles mis en avant par l’association (voir encadré). Lui non plus, ne croit pas en la mort du livre. Pour lui, un livre est un carnet de voyages. “Il faut faire entrer dans un livre la notion de parcours”, explique-t-il. Son approche de plasticien lui permet de donner à l’objet une dimension particulière, tel un animé, ou le cinéma. Il associe son approche à celle d’un architecte, car l’imprimé fait appel au montage et à l’espace. Sauvegarder le livre et l’imprimé permet alors de cultiver un rapport charnel avec la littérature, l’image, la poésie… “Le livre d’art dispose de plusieurs grilles de lecture qui font appel au toucher et à la vue, (…) le système proposé se présente comme un diagramme de collections de mots, de métaphores, d’images et d’associations d’idées”, insiste François Righi, qui compare le livre à la queue d’un paon. Finalement, avoir un livre d’art chez soi, c’est un peu alors comme cultiver la mé­moire et protéger la civilisation. VALÉRIE ZOYDO

François Righi, plasticien et bibliophile
“Il est assez ordinaire de recourir au livre comme moyen de rendre public un sens qu’on pense avoir constitué (par des mots, des images, peu importe). Ici l’impulsion vers le livre n’est pas de cet ordre. Righi ne va pas y consigner une solution mais y piéger un mystère, de l’insaisissable, de l’insoluble pour le garder comme tel, le raviver à chaque lecture. Ce à quoi l’on ne peut avoir totalement accès, et qui est donc la seule chose qui nous importe, est la raison d’être et la matière de ces livres […] L’image est signe de ce qu’elle n’est pas et dont elle tient lieu en l’absence. Les livres de Righi sont habités par ce jeu”.
Marie-Jeanne Boistard, conservateur à la bibliothèque de Blois